Nos débuts

Ceux qui apprécient les « success stories » connaissent bien l'arc narratif qu'elles suivent...

Ceux qui apprécient les « success stories » connaissent bien l'arc narratif qu'elles suivent...

Le héros-entrepreneur accouche d'une idée géniale, trouve un ou deux acolytes pour lui faire prendre vie, affronte et vainc les pouvoirs en place puis chemine vers la gloire tandis que le générique de fin défile.

De loin, l'histoire de Sonos peut ressembler à cela. Ses quatre fondateurs, John MacFarlane, Tom Cullen, Trung Mai et Craig Shelburne, ont donné naissance à une vision audacieuse basée sur une technologie qui à l'époque n'existait pas. Motivés par la réussite rencontrée lors de la première phase de développement d'entreprises centrées sur Internet, ils ont décidé que leur mission suivante consisterait à créer une nouvelle façon d'amener la musique dans chaque foyer avec les technologies sans fil, multi-room, depuis les PC et Internet, le tout avec un son exceptionnel. Ils ont recruté une équipe exceptionnelle qui a mis au point des produits exceptionnels à partir de rien et les mélomanes du monde entier sont tombés amoureux de cette nouvelle marque.

Mais regardons cela de plus près.

Quelles frustrations et difficultés ont-ils rencontrées en chemin ? Y a-t-il des leçons à en tirer à plus grande échelle ? L'histoire de Sonos, hier et aujourd'hui, est sans doute assez connue. Découvrez, avec des détails inédits, comment les choses se sont déroulées.

Première partie: À Santa Barbara

John MacFarlane s'est installé à Santa Barbara en 1990 pour faire son doctorat à l'Université de Californie-Santa Barbara. C'est là qu'il a découvert les possibilités d'Internet et qu'il a créé Software.com avec Craig, Tom et Trung. Après la fusion de Software.com avec Phone.com en 2000, qui a vu naître Openwave, ils ont poursuivi leur chemin afin de réfléchir à ce qu'ils feraient ensuite.

À ce stade, la seule chose qu'ils savaient c'est qu'ils voulaient rester ensemble à Santa Barbara en raison des racines qu'eux et leurs familles avaient commencé à créer dans cette ville. Ce fut peut-être le début de nouvelles habitudes marquées par des choix peu conventionnels qui allaient renforcer les difficultés et offrir une vision nouvelle du travail.

Comme le décrit Tom, leur vision depuis Santa Barbara recélait quatre grandes idées qui, selon ses mots, étaient tirées « du cœur de l'Internet alors que celui-ci était en pleine effervescence » :

Quatre grandes idées

La première : la prolifération des normes signifie qu'Internet est une plateforme programmable.

La deuxième : l'effondrement des coûts des systèmes neurologiques et nerveux informatiques (circuits intégrés, processeurs centraux et autres technologies) montrant que ces composants étaient en train de rapidement devenir une matière première.

La troisième : les quatre fondateurs voyaient ce que les fabricants achetaient et pouvaient ainsi voir la numérisation qui naissait sous leurs yeux, avec des possibilités de développement quasi infinies.

Enfin, comme le dit Tom, ils ont compris qu'en termes de réseau, « les structures à grande échelle allaient se transformer en modèles à petite échelle. » Les vastes réseaux allaient créer des niches et transmettre leurs capacités aux réseaux locaux.

Grâce à cette expérience, ces ressources et analyses, les quatre hommes se sont naturellement orientés vers la musique chez soi, et...

... pas si vite !

La première idée que John a présentée à ses trois acolytes concernait le domaine de l'aviation. Son projet consistait à offrir dans les avions des réseaux locaux (LAN) comprenant des services pour les passagers. Cette idée n'a pas suscité l'enthousiasme qu'espérait John et il est donc retourné à sa planche à dessin.

Mais la planche à dessin a très vite reçu un flot d'inspiration suscité par la passion des quatre amis pour la musique, ainsi que leur frustration liée au stockage de centaines de CD, à la gestion des câbles de stéréo et d'enceintes et aux frais de câblage qu'implique une expérience d'écoute multi-room. Tout cela a conduit à une opportunité de mettre à contribution leurs talents, ressources et idées uniques.

Leur vision était simple : aider les amoureux de musique à diffuser n'importe quelle chanson chez eux.

Mais en 2002, il y avait un problème : il n'existait quasiment aucune technologie pour atteindre cet objectif. La nouvelle grande start-up associant musique et technologie allait prendre racine entre deux grandes plateformes, à plus de 90 miles de Los Angeles et à plus de 250 miles de la Silicon Valley. Avec une vision qui n'était alors que pure spéculation.

Deuxième partie: « Ces types sont un peu dingues. »

En 2002, profiter de bonne musique chez soi c'était : cacher des câbles derrière l'étagère et les meubles, à brancher des enceintes de la taille de bongos, connecter des jacks dans les bons orifices sur les panneaux arrière des émetteurs et des récepteurs ; des médias physiques qui prenaient essentiellement la forme de Compact Discs et de cassettes audio... Et si vous vouliez un système multi-room, il vous fallait un bon après-midi (voire un week-end) à percer des trous pour faire passer des câbles entre l'unité centrale et les différentes enceintes de la maison.

Alors que le pionnier Napster avait déjà dans son ascension puis sa chute ouvert la voie dans le domaine de la recherche de musique en ligne depuis un ordinateur personnel, la musique numérique était encore une nouveauté et le streaming musical direct depuis Internet tenait encore de l'idée farfelue. Pandora, iTunes, Spotify et les autres grands noms des services de streaming de musique n'existaient pas encore, pas plus que l'iPhone. Le principal fournisseur d'accès à Internet en 2002 était encore America Online via une connexion téléphonique et moins de 16 millions de foyers aux États-Unis disposaient d'une connexion à haut débit.

Loin de baisser les bras, nos fondateurs ont œuvré à l'élargissement de leur vision et se sont mis à la recherche de talents uniques pour renforcer leur équipe.

La première étape a consisté à traduire ce qu'ils avaient mis sur papier.

Selon Tom Cullen, cela a pris environ trois mois et voilà à quoi cela ressemblait :

Ce schéma très basique, bien qu'il ait été mis à jour et renforcé de diverses manières, fait toujours partie de la structure des produits Sonos actuels.

La deuxième étape a visé à recruter un talent particulier, ce qui a pris presque autant de temps.

Andy Schulert avait la même affection pour Boston que nos fondateurs pour Santa Barbara. Sonos a donc ouvert un deuxième bureau à Cambridge en se jurant de ne jamais considérer l'un des deux comme étant plus important que l'autre.

Mais comment une entreprise totalement inconnue comme Sonos a-t-elle pu attirer un tel talent ? Au-delà de leur réussite précoce avec Software.com, nos fondateurs avaient quand même quelques atouts majeurs : leur réputation en matière d'expertise technique, un réseau conséquent de cadres supérieurs, d'ingénieurs et de designers très doués, une capacité à reconnaître le talent et une vision inspirant une audace incroyable.

Cette bande intrépide partit se terrer dans une grande salle nichée au-dessus d'El Paseo, un restaurant de Santa Barbara, baignée par les relents tortillas frites pour faire des chips. Les débuts ne se présentaient sous les meilleurs auspices.

« La disposition de la pièce ressemblait à une salle de classe avec des bureaux alignés et John se tenait en hauteur derrière le bureau du professeur », se rappelle Nick Millington. « Il travaillait sur un prototype d'amplificateur, qu'il testait avec des signaux sinusoïdaux, ce qui était pénible. J'essayais de développer la couche de transport audio et ça ne marchait pas et cela produisait ces horribles sons, le tout en face du PDG qui me regardait travaillait tout au long de la journée. J'ai donc investi dans un casque audio. »

Comme si le défi qui consistait à mettre au point un système audio sans fil multi-room pour la maison ne suffisait pas, l'équipe avait aussi décidé d'un commun accord de la nécessité de garantir la simplicité d'utilisation, ce qui sous-entendait une configuration rapide et intuitive, une intégration simple avec n'importe quel type de technologie ou de service tout en offrant un son exceptionnel dans n'importe quelle maison.

Toutes ces nobles décisions destinées à faciliter la prise en main par l’utilisateur ont rencontré des problèmes techniques qui, dès le départ, ont failli avoir raison de la petite équipe d’ingénieurs et de designers de Sonos. L'intégration multitechnologique imposait Linux comme plateforme, mais aucun logiciel de commande n’existait à l'époque pour l’audio, pour les boutons de contrôle, les molettes de défilement ou l'infrastructure réseau nécessaire. L'équipe Sonos a dû les créer.

Pour avoir un son de qualité dans toutes les pièces, il fallait concevoir un système permettant de transférer le son instantanément et sans fil vers plusieurs enceintes, les utilisateurs ne devant jamais pouvoir percevoir de coupures.

L'équipe a dû faire un choix : permettre à chaque enceinte d'aller chercher sa musique de manière autonome ou faire en sorte qu'une enceinte centrale la recueille et la distribue.

Comme le précise Jonathan Lang, « la question était : intelligence distribuée ou centralisée ? Nous avons opté pour la première solution, non parce que cela était plus simple (ce n'était pas le cas), mais parce que c'était cette architecture qui convenait à ce que nous voulions proposer. »

L’équipe a jugé que l'intelligence distribuée était plus satisfaisante pour l'utilisateur, mais cette décision a eu son propre effet domino : comment (en 2003) gérer la mise en mémoire tampon pour éviter toute interruption du réseau (qui couperait la musique en plein milieu d’un titre) et que se passe-t-il si l'enceinte centrale est retirée du groupe ?

Pour les besoins spécifiques du multiroom (qui permet à de la musique sans fil de transiter d’une enceinte à n’importe quelle autre sans déperdition de son), l'équipe a mis au point un processus personnalisé appelé « délégation », qui a fini par devenir l’une des principales technologies brevetées de Sonos. Grâce également à un nouvel horodatage des titres par le biais de paquets audio numériques, il est pratiquement impossible, pour un système Sonos, de jouer de la musique de manière désynchronisée. En outre, il est plus facile pour l'utilisateur de regrouper et séparer les pièces et de faire passer de la musique d'une pièce à l'autre de la maison.

« À ce moment-là, il y avait tellement de peur, d'incertitude et de doute que c’était impossible », se souvient Nick Millington. « J'ai commencé à tester des trucs, à créer des prototypes sur PC en m’appuyant seulement sur des tests d’appréciation plutôt que sur des tests académiques. »

Très vite, un des problèmes a été résolu. Mais seulement sur les PC interconnectés comme les nœuds d’un réseau, parce que Sonos devait créer son propre matériel. Les PC étaient reliés par des câbles, car l'équipe butait sur la partie sans fil. John MacFarlane se montrait encourageant, mais également intransigeant : le système devait fonctionner via le Wi-Fi.

Selon les termes de Jonathan Lang, cela voulait dire que « nous avons dû réinventer la manière dont les appareils communiquaient entre eux. Nous ne pouvions pas nous limiter à ce qui existait à l'époque, et nous ne l'avons pas fait. »

L’équipe trouva la solution : le réseau mesh. En 2003, ce concept avait déjà été utilisé dans des environnements très mobiles, tels que les champs de bataille, mais pas au sein d'une maison, ni pour répondre aux exigences très strictes de l'écoute musicale. Afin de développer et mettre en œuvre ce concept, Sonos avait le choix entre deux possibilités : trouver une solution technique plus simple, mais au détriment de l’expérience utilisateur idéale ou rendre les choses plus simples et attrayantes pour les utilisateurs, mais atrocement complexes pour ses ingénieurs.

Jonathan Lang explique pourquoi : « La solution alternative au réseau aurait consisté à utiliser d'autres points d'accès. Nous étions convaincus que cela aurait nui à l’expérience utilisateur. Par exemple, quelqu’un, en appuyant sur “imprimer”, risquait de couper la musique dans la maison. » Cela aurait très négatif. »

Parallèlement aux autres avancées, l’équipe est allée plus loin pour améliorer les capacités du réseau mesh et en septembre 2003, elle a présenté un prototype à John et au reste de la direction. Comme avec la plupart des prototypes, certaines parties fonctionnaient parfaitement, d’autres étaient prometteuses et d’autres encore, défaillantes. Le réseau mesh était particulièrement défaillant.

Sonos s'est alors tourné vers Nick Millington, qui jouissait déjà auprès de ses collègues d'une réputation de développeur de talent grâce à plusieurs inventions dans le domaine de la synchronisation audio. Cela ne semblait pas le déranger, ni lui ni le reste de l’équipe, de n'avoir strictement aucune expérience dans le domaine des réseaux. Avec l’aide de l’Université de Californie à Santa Barbara, d’un consultant et d’un fournisseur, Nick s'est formé aux réseaux mesh en six semaines, tout en fabriquant un exemplaire pour Sonos (pour la partie matérielle, Sonos partait aussi de zéro.).

Tom Cullen remit à Bill Gates l'une des premières démos des ZP100 et CR100 de Sonos lors du CES, en janvier 2005.

Andy Schulert, son responsable à l'époque se souvient : « N'oubliez pas que la notion de réseau mesh existait, mais pas pour les produits audio. Pratiquement personne ne travaillait sur des systèmes intégrés fonctionnant avec le Wi-Fi. Il n’y avait pas de bons logiciels de commande Linux avec Wi-Fi. Nous fabriquions notre propre matériel, que nous n’avions même pas complètement testé. Nick est le meilleur développeur avec qui j’aie travaillé, et de loin. »

Au même moment, Rob Lambourne et Mieko Kusano supervisaient l'élaboration des spécifications produits, le développement du mode filaire et les tests auprès de groupes d'utilisateurs pour la création d'une expérience utilisateur optimale, le tout présenté dans un design élégant.

En prenant pour cadre le système élaboré début 2004, rempli de nouvelles technologies et non testées, la phase suivante s'est concentrée sur la hantise de tout ingénieur logiciel : les bugs.

Malgré toute l'ingéniosité déployée, il n'était pas possible de faire communiquer les prototypes sans fil, même à trois mètres les uns des autres. Et dans le cas des systèmes intégrés, les outils de développement et les débogueurs n'existaient même pas.

Nick et John ont alors pris la route, les prototypes dans un carton à l'arrière de la voiture de John, direction la Silicon Valley pour aller voir un ami de John, fournisseur de matériel. Pour lui, la solution se résumait à un seul mot : antennes.

Là encore, cela a donné lieu à une nouvelle série de tâches laborieuses avec d'obscurs détails techniques autour des normes de transmission (seules les normes 802.11-b/g existaient à l'époque), du choix et du placement des antennes, des pilotes des périphériques réseau, des protocoles STP et des nombreuses façons dont les espaces de vie peuvent interférer avec le signal. Aucun des protagonistes ne vous décrira cette période avec lyrisme ou même nostalgie : c'était juste beaucoup de travail, jour après jour et l'équipe avançait pas à pas, sans moments d'euphorie façon « Eureka » ou d'avancée extraordinaire.

Les développeurs savent que les bugs créant le plus d'agacement sont les bugs qu'on appelle « non reproductibles ». Nombre d'entre eux sont apparus à l'occasion de tests réalisés chez les collaborateurs de Sonos à Santa Barbara et aux alentours, notamment un bug particulièrement frustrant, qui n'a pu être reproduit que chez une seule personne, mais qui a nécessité un renifleur de paquet pour être identifié et corrigé.

Le tout premier produit de Sonos, le ZP100, a été accueilli avec enthousiasme pour sa simplicité d'installation, sa facilité d'utilisation et sa qualité de son.

Andy Schuler se souvient : « On a nos 15 à 20 premiers prototypes et nous en est très fiers. On en prend dix et on les apporte chez l'un d'entre nous pour les tester. On les installe, et c'est un échec monumental. Ils fonctionnaient à peine. On a dû tout reprendre : résoudre les problèmes avec deux enceintes, identifier les problèmes, puis en ajouter une troisième, etc. Un travail pénible, mais cela en valait la peine. »

À l'été 2004, Sonos avait réglé tous les bugs, les prototypes avaient gagné en fiabilité et l'équipe avait laissé les autres acteurs du secteur avoir un avant-goût du système. Cela confirmait ce que tous avaient commencé à comprendre : les efforts entrepris jusqu'alors avaient payé avec la naissance de quelque chose de tout à fait nouveau.

Comme Jonathan Lang l'explique : « J'étais responsable de l'enregistrement et de la protection des premiers droits de propriété intellectuelle et j'étais persuadé que nous faisions les bons choix en matière de design. Mais en même temps, il nous arrivait parfois de lever le nez, de réaliser que nous étions seuls et de nous dire “pourquoi personne d'autre ne fait ça ?”. »

Tout au long du processus, le secteur se montrait extrêmement enthousiaste, en particulier lors de la conférence 2004 D : All Things Digital où Sonos est parvenu à se faire remarquer. C'est à cette occasion que Steve Jobs a dévoilé Airport Express sur la scène principale. La solution d'Apple en matière d'audio pour la maison nécessitait alors un ordinateur pour contrôler la musique. Au même moment, dans l'une des allées du salon, Sonos présentait une fonctionnalité plus avancée et un contrôle complet de la musique du bout des doigts.

Les percées musicales marquantes commencent souvent avec un titre phare. Le lancement de MTV, par exemple, a été rendu célèbre par la diffusion du clip de The Buggles « Video Killed the Radio Star ».

Et Sonos ? C'est le titre « No Sleep ‘Til Brooklyn » des Beastie Boys (un morceau produit par un conseiller de longue date de Sonos, Rick Rubin) qui a été le premier titre à être diffusé en public et à plein volume sur le ZP100, le premier produit de la marque Sonos.

Les ingénieurs de Sonos pouvaient affirmer le « no sleep » (pas de sommeil) du titre en raison des nombreux efforts mis en œuvre pour le lancement du ZP100. Mais pour offrir aux clients une expérience musicale optimale, il a fallu adopter une approche plus pratique dans la sélection des titres pour les tests, dictée par les débuts du scrolling et les longues listes alphabétiques de titres et de groupes à parcourir.

Ainsi, le morceau le plus diffusé par les ingénieurs de Sonos lors des essais a été « 3AM » de Matchbox 20, tout simplement parce qu'il figurait en haut de la liste. Le groupe le plus écouté : 10,000 Maniacs.

Mieko Kusano se souvient d'une autre rencontre qui résume parfaitement ces moments :

« Les ingénieurs et les cadres d'une célèbre entreprise de technologie grand public ont été parmi les premières personnes à venir découvrir nos Zone Players. C'était notre première rencontre avec les gens de cette société, et c'était avant notre lancement. Nous avons préparé les Zone Players et les contrôleurs. Et là, l'un des gars a pris un contrôleur et s'est rué en hors de la salle de réunion. Il nous a totalement pris par surprise. Quelques minutes après, il est revenu avec le contrôleur, tout essoufflé. Il était allé jusqu'au parking pour voir si l'appareil continuerait de fonctionner. Et ça a fonctionné. »

Les premiers encouragements du secteur ne signifiaient pas forcément en avoir fini avec les difficultés. Sonos s'était engagé à respecter un calendrier d'expédition de ses premiers produits à l'automne 2004, tandis que son cofondateur Trung Mai avait passé une grande partie de l'année 2004 à sillonner l'Asie avec ses prototypes en mousse pour dénicher le bon fabricant. Une fois celui-ci trouvé et le contrat conclu, Jonathan Lang a pris le relais, se chargeant de la supervision des lignes de fabrication, là encore, une première pour lui. Mais alors que les chaînes de production étaient lancées, il a remarqué ce qu'il décrit comme un « petit problème » avec les contrôleurs, en particulier au niveau de la colle utilisée, qui ne fonctionnait pas bien.

« J'ai dû passer un coup de fil », explique-t-il. « Mais je savais déjà qu'au regard de la philosophie de Sonos, il fallait arrêter la production, mettre les produits au rebut, et que nous allions prendre du retard. Il fallait aussi trouver une colle qui fonctionnait. John et les autres dirigeants m'ont laissé prendre la décision qui s'imposait. »

Troisième partie: « De loin les meilleurs. »

Finalement, Sonos a expédié son tout premier produit, le ZP100, le 27 janvier 2005. Très rapidement, l'entreprise a été reconnue par le secteur et a reçu des retours très positifs des médias, de quoi soutenir la croissance du produit pendant les premiers mois et les premières années. Les critiques ont salué sa simplicité d'installation, son design, sa fiabilité et sa qualité de son. Walt Mossberg, doyen des chroniqueurs spécialisés dans les nouvelles technologies (alors au Wall Street Journal), a écrit : « Le système Sonos est tout simplement le meilleur produit de streaming de musique que j'aie vu et testé. »

Face à un tel enthousiasme de la part des médias et de du secteur, les dirigeants de Sonos pensaient qu'ils allaient rapidement développer leur chiffre d'affaires. Mais au lieu de ça, les ventes étaient correctes, sans plus. Comme Tom Cullen l'explique au magazine Fortune en 2012 dans un portrait de l'entreprise :

« Nous étions assis là à entendre que tout le monde adorait notre produit », se rappelle Tom Cullen...

« Nous étions assis là à entendre que tout le monde adorait notre produit », se rappelle Tom Cullen...

« Et nous nous disions : pourquoi on ne ferait pas 500 millions de dollars [de vente] en une journée ? ». Puis, la crise a frappé durement l'entreprise. « Le monde s'est arrêté. Après tout, personne n'avait besoin d'un produit Sonos », ajoute-t-il. À cette époque, l'entreprise travaillait sur une enceinte sans fil plus grande, mais ne disposait pas du capital suffisant pour mener à bien son projet. Certains dirigeants, dont Tom Cullen, ont alors emprunté auprès d'amis et décidé de rémunérer les employés sur leurs propres deniers [Trung Mai, en particulier, l'a fait plus d'une fois, assure Tom Cullen].

Sonos, déterminé, a gardé le cap et parié sur des systèmes et des technologies de nouvelle génération avec la conviction que les consommateurs suivraient. L'entreprise a fait confiance à John et à son instinct pour anticiper les tendances et en tirer parti, même s'il existait un risque d'être trop en avance sur son temps.

Ses systèmes de deuxième et troisième générations étaient le résultat de l'effort entrepris par Sonos pour la diffusion directe vers les enceintes, en retirant complètement les PC de l'équation. Ils ont vu le jour en 2006 avec Rhapsody, son premier service de musique. Cette étape a représenté un tournant majeur pour l'entreprise, ce qui était loin d'être évident à l'époque.

En 2007, le lancement de l'iPhone et de l'App Store d'Apple ont déclenché l'essor des applications. Sonos a décidé alors de créer sa propre application gratuite pour les utilisateurs d'iPhone, offrant ainsi la possibilité de transformer leur smartphone en contrôleur, sans avoir à acheter la télécommande Sonos. (Les utilisateurs d'Android ont découvert l'application Sonos en 2011 et Sonos a supprimé progressivement ses contrôleurs en 2012.)

Puis, en novembre 2009, Sonos a lancé Play:5, une véritable enceinte connectée tout-en-un. Son prix : 400 dollars, soit un tiers de celui du produit initial, le ZP100 (qui, avec les enceintes et le contrôleur, coûtait environ 1 200 dollars en 2005). Les espoirs d'une croissance solide et durable commençaient à se concrétiser. Cela a également marqué un tournant encore plus important, avec des mises à jour logicielles régulières permettent de garantir une amélioration constante des produits, un soin toujours plus important accordé à la qualité sonore et des liens plus étroits noués avec les artistes en studio et les autres acteurs de la scène artistique.

Grâce à ces relations, Sonos, en tant qu'institution, a pris une nouvelle dimension. Sonos a réalisé que, pour diffuser à la maison une musique dotée d'un son d'une qualité exceptionnelle, il fallait demander aux artistes qui la composent comment ils souhaitaient qu'elle soit écoutée. Sonos a rapidement compris que même si ses ingénieurs et ses designers sont particulièrement exigeants, les musiciens sont toujours les critiques les plus sévères.

Sonos intègre en amont des procédés précoces de tests et de critiques pour ses produits en mobilisant la communauté artistique, auxquels prennent part des producteurs, des musiciens et des compositeurs. Avec Trueplay, lancé en 2015, le producteur Rick Rubin prit la tête d'une équipe de conseillers pour apporter le point de vue des artistes dès les premières phases du processus de développement.

Rick explique la genèse de Trueplay au moment de sa sortie : « À chaque fois que des nouvelles enceintes sont installées dans le studio, on fait intervenir un technicien pour régler les enceintes en fonction de la pièce. Chaque pièce a sa propre acoustique. Il faut donc quelqu'un pour calibrer l'enceinte par rapport à l'espace. J'ai donc suggéré à John, le fondateur de Sonos, de trouver un moyen de rendre cette technologie accessible à tous. »

Quatrième partie: Par des amoureux de musique. Pour les amoureux de musique.

En tant que marque et société, Sonos a construit des bases solides au cours de ses premières années, alors que sa culture prenait forme. L'entreprise, qui ne cesse d'évoluer, place l'expérience au premier plan et traite ses clients à la mesure de leurs propres attentes. Sonos continue d'attirer des talents venus du monde entier, qui aspirent à devenir des pionniers et à repousser leurs limites pour innover, dans le respect des principes établis en 2003.

De ces principes découle, sans exagérer, une obsession quasi fanatique pour la qualité. Celle-ci transparaît en particulier dans la décision de Jonathan Lang, fermement soutenu par les dirigeants de Sonos, de mettre au rebut une grande quantité de produits fabriqués et de tout reprendre à zéro à cause d'un petit souci de colle. Elle se manifeste aussi plus largement dans les nombreuses tâches fastidieuses qui ont permis d'obtenir une première vague de produits parfaits.

Elle se voit dans la volonté de Mieko Kusano et Rob Lambourne de créer un design soigné et un produit simple d'utilisation dès le départ et à chaque phase de la conception du produit, en veillant scrupuleusement aux détails.

Mieko décrit cette approche : « Il faut que l'expérience utilisateur soit au cœur du produit. Elle ne doit pas être traitée de manière superficielle. Le design part toujours de l'intérieur. On ne conçoit pas une architecture technique pour la rendre ensuite élégante. Tout part du client. On se concentre sur les principaux aspects sur lesquels il est possible de faire la différence et de rendre le produit exceptionnel. Alors vient la phase d'innovation pour laquelle toutes les forces sont mobilisées. »

Peu d'entreprises vont jusqu'à développer une nouvelle résine en plastique comme l'a fait Sonos pour éliminer les vibrations et améliorer la polyvalence de ses caissons de basses et de ses enceintes. La culture de Sonos veut qu'il y ait eu de longues discussions et de nombreux tests sur la taille, le nombre et le placement des trous de PLAYBASE (pour les plus curieux, sachez qu'elle compte 43 000 trous de différentes tailles).

Sonos PLAYBASE

Un élément indissociable de cet environnement particulièrement exigeant en matière de créativité et de précision est la protection systématique de chaque invention. L'une des premières missions de Jonathan Lang chez Sonos, en dépit de son manque d'expérience dans le domaine de la propriété intellectuelle, a été de breveter chaque nouvelle avancée de l'entreprise. Chez Sonos, les ingénieurs et les designers ont toujours considéré les droits de propriété intellectuelle comme une base pour la concurrence, le partenariat et l'innovation au sein du secteur.

Dans cette quête d'excellence technique, Sonos ne s'est jamais détournée de sa mission : remplir chaque maison de musique. Comme le souligne Mieko Kusano, la devise de Sonos est : « Par des amoureux de musique. Pour les amoureux de musique. »

Lorsqu'ils imaginent l'avenir, les équipes Sonos l'affirment : il ne s'agit pas pour eux de se contenter de créer des merveilles de technologies. Ils conçoivent des expériences musicales à la maison encore plus riches, ce qui implique d'unir leurs forces en dépassant le clivage qui sépare communément ingénierie et créativité. Ils ont vu la différence qu'apporte cette expérience aux musiciens et aux utilisateurs chez eux. Les artistes aiment que leur travail sonne comme ils le souhaitent. Les amoureux de musique ont le plaisir de pouvoir profiter de leur musique ensemble à la maison.

En ce sens, l'histoire se termine là où elle a commencé. Avec un groupe d'individus, de tous horizons, concentré sur une vision audacieuse : offrir en toutes circonstances un son exceptionnel pour n'importe quelle musique et dans n'importe quelle pièce.

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Sources

  • “Sonos Spins into Control” [Sonos prend le contrôle], Santa Barbara Independent, Matt Kettman, 27 août 2015.
  • "Sonos builds beyond its bass" [Sonos va au-delà des basses], Fortune, JP Mangalindan, 25 juin 2012.
  • “How Sonos Built the Perfect Wireless Speaker” [Sonos et l'histoire de la création de l'enceinte sans fil idéale], Bloomberg, Ryan Bradley, 30 octobre 2014.
  • “The Story Behind the Wireless Music System 10 Years in the Making” [L'histoire qui se cache derrière le système audio sans fil qui en est à 10 ans d'existence], Mashable, Amy-Mae Elliot, 8 décembre 2011.
  • “How a Beatles producer is helping Sonos reimagine the way we hear music” [Un producteur des Beatles aide Sonos à ré-imaginer comment entendre la musique], Fast Company, John Paul Titlow, 29 septembre 2015.
  • “The Infinite Music Collection” [La collection de musique sans fin], Joel on Software blog, Joel Spolsky, 9 novembre 2006.
  • "Gadget That 'Streams' Music Around House Is Terrific but Pricey" [Le gagdet qui permet d'écouter de la musique en streaming dans toute la maison est fabuleux mais onéreux], The Wall Street Journal, Walt Mossberg, 24 février 2005.